Cheffe du service juridique
Qui êtes-vous ?
Muriel Barrelet, je suis cheffe du service juridique de l'État (n.d.l.r: le service juridique est un service transversal de l'État rattaché au Département de l'économie, de la sécurité et de la culture). J'ai 50 ans. J'ai deux enfants qui sont adultes maintenant.
Quel a été votre parcours professionnel ?
Je crois que l'on peut dire que ce qui traverse mon parcours est la curiosité. J'ai exercé beaucoup de métiers du droit différents.
J'ai commencé mon activité comme collaboratrice avocate dans une étude d'avocat, j'ai travaillé chez Me Desaules puis chez Me Studer, cette période a duré environ cinq ans. J'ai beaucoup aimé cette activité exigeante en terme de relations humaines mais aussi de pression.
J'ai travaillé ensuite six ans à l'Office fédéral de la justice dans le service du droit pénal international, ma fonction consistait à participer à des négociations de conventions internationales (ONU, OCDE, Conseil de l'Europe), puis de les transposer si nécessaire en droit suisse, dans les domaines de la lutte contre la corruption, la lutte contre les disparitions forcées. J'ai aussi participé à des audits de pays. C'était passionnant et cela m'a permis de vivre des expériences riches en rencontres.
Ensuite j'ai été chancelière de la Ville de La Chaux-de-Fonds, pendant 2 ans et demi environ. J'ai appris à mieux connaître les institutions communales et cantonales, comment fonctionne un exécutif de l'intérieur. J'étais aussi en charge de la communication de la ville.
En 2010 j'ai été élue juge au Tribunal d'instance et j'y ai travaillé pendant 8 ans et 10 mois. Je me suis principalement chargée de conciliation, de procédures civiles et pénales. Cette fonction m'a apporté beaucoup, en terme de capacité d'écoute et paradoxalement d'humilité.
En novembre 2019 j'ai pris mes fonctions de cheffe de service au sein de l'État.
Quelle est votre formation ?
J'ai une licence (aujourd'hui on dirait master) en droit obtenue à l'Université de Neuchâtel (j'ai fait un an à Bâle) et un brevet d'avocate.
Quelles sont les tâches/les missions rattachées à votre fonction ?
Le service juridique est un service central, son activité n'est pas visible de l'extérieur mais elle est vitale pour l'État, un peu comme une colonne vertébrale pour le corps humain (toujours en toute modestie).
Nous aidons l'ensemble des autorités (exécutive et législative) et de l'administration cantonale dans les tâches qui sont les leurs. Nous les accompagnons au quotidien lorsqu'ils se posent des questions juridiques, rendons des avis de droit, préparons les projets législatifs (mais aussi les règlements et les arrêtés) du Conseil d'État et préavisons chacune de ses décisions qui porte sur un aspect juridique (cela s'étend donc aussi à tous les contrats et conventions qu'il passe), et instruisons les procédures de recours ou sur opposition, ou en matière d'aide aux victimes d'infraction, ou responsabilité de l'État et préparons des projets de décisions pour les départements, la chancellerie et le Conseil d'État. Finalement, le service juridique gère le RSN (recueil systématique neuchâtelois).
Plus globalement, je dirais que notre mission est ainsi de s'assurer que l'État agisse dans le respect du droit, et en particulier garantisse les droits fondamentaux des citoyen-ne-s. Comme service central nous jouissons d'une grande indépendance dans les avis que nous rendons. Je nous vois comme les expert-e-s juridiques de l'État.
Comme cheffe de ce service, mon rôle est d'assurer qu'il délivre les prestations qui sont attendues de sa part, en terme de qualité mais aussi dans des quantités et délais acceptables ; je dois donc l'organiser de manière efficace, appuyer ses collaboratrices et collaborateurs et faire en sorte qu'ils aient les ressources nécessaires pour accomplir leur mission. Le plaisir au travail est essentiel.
Plus directement, j'appuie personnellement le Conseil d'État et le Grand Conseil, je valide tous les préavis adressés au Conseil d'État. Je participe aux travaux de plusieurs commissions parlementaires et je mène certains grands projets législatifs.
Quels sont vos principaux défis professionnels actuels ?
Faire en sorte que la nouvelle organisation du service mise en place en 2021 trouve un rythme satisfaisant et l'affiner encore. Nous avons mis en place une structure inspirée des « entreprises libérées » assez novatrice, tant dans le processus de création du modèle (que nous avons entièrement imaginé et modelé collectivement) que dans le choix de celui-ci.
Les juristes sont réunis en quatre entités semi-autonomes qui s'organisent librement dans la répartition du travail, la mise en place des suppléances et leur fonctionnement au quotidien. Chacune de ces entités a sa propre charte de fonctionnement et désigne (à tour de rôle), un-e juriste de liaison qui assure le lien avec le reste du service. Une fois par mois, les juristes de liaison se réunissent en séance de coordination avec la répondante pour le secrétariat, la responsable du RSN et la cheffe de service. Nous faisons le tour des différentes questions qui occupent le service.
Ainsi si le quoi est clairement défini, le comment est largement en main des collaboratrices et des collaborateurs eux-mêmes. Ils recrutent leurs futurs collègues par exemple et sont partie prenante de toutes les décisions importantes qui concernent le service.
Sinon, nous avons plusieurs projets en cours d'importance comme le toilettage du RSN, la révision générale de la loi sur la procédure et la juridiction administratives (LPJA), etc.
J'aimerais aussi développer le mode amiable de règlement des conflits au sein de l'État et la mise en place du dossier numérique va certainement nous occuper ces prochaines années.
Comment se déroule votre journée/votre semaine type ?
Il n'y a pas de journée ou de semaine type. C'est le bon côté de la fonction pour quelqu'un qui aime par-dessus tout le changement.
C'est varié, on passe de l'examen d'une problématique liée à l'enseignement à une question qui concerne les impôts pour finir avec l'examen de la recevabilité d'une initiative populaire. On est aussi en contact permanent avec l'ensemble de l'administration et les autorités.
Dans ma semaine il y a en principe beaucoup de séances, des entretiens avec des collaboratrices et collaborateurs qui demandent un appui pour une question stratégique ou sensible, des séances de commission, mais aussi des moments plus calmes de rédaction et de réflexion.
Qu'est-ce que vous préférez dans votre travail ?
J'aime par-dessus tout mes collègues du service juridique, cette équipe est formidable d'engagement et de compétences, ce sont aussi de belles personnalités qui tiennent les un-e-s aux autres. Un bel esprit règne dans l'aile nord du Château.
J'aime aussi être au service de la collectivité. Même si nous sommes peu en contact avec les citoyen-ne-s, elles et ils sont au cœur de notre travail et nous ne les perdons jamais de vue.
Un très bon souvenir dans le cadre de votre travail ?
Le processus de réorganisation du service qui a débuté dès mon arrivée. Nous étions portés par une envie collective très forte. Je n'en reviens toujours pas qu'on nous ait laissé faire cela. C'est une grande chance d'avoir pu imaginer une autre manière d'envisager le travail et l'administration, dans un cadre quand même très conservateur. C'est une bulle de démocratie au cœur de l'État.
Un lieu que vous aimez particulièrement dans le canton ?
J'aime la ville de La Chaux-de-Fonds, où j'ai choisi de vivre, pour son histoire, la singularité de son urbanisme, son attachement si fort à la culture et à un certain anticonformisme. Mais cela ne m'empêche pas de la détester aussi par moment et de rêver à d'autres villes.
Une citation qui vous inspire ?
Une question difficile pour une littéraire. S'il faut choisir, je dirais: «Nos tactiques doivent toujours refléter nos objectifs. On ne tue pas pour la paix, on ne rend pas les gens plus forts en prenant des décisions à leur place, on n'obtient pas la liberté en éliminant les opinions divergentes».
Gloria Steinem (« La vérité vous libérera mais d'abord elle vous mettra en rage »).
Quelle personnalité/personne admirez-vous et pourquoi ?
Toutes les grandes figures du féminisme, de Simone de Beauvoir, Gloria Steinem, Audre Lorde, Maya Angelou, Virginie Despentes, et toutes les autres qui font bouger le patriarcat.