Archiviste à l'office des Archives de l'État de Neuchâtel (OAEN)
Christophe d'Epagnier est archiviste à l'office des Archives de l'État de Neuchâtel (OAEN) basé au château de Neuchâtel.
Depuis quand exercez-vous cette fonction et quel a été votre parcours professionnel avant celle-ci
Christophe d'Epagnier : J'ai 41 ans et je suis au bénéfice d'un parcours académique avec un bachelor en histoire et histoire de l'art à l'Université de Neuchâtel. Une passion pour l'histoire que je nourris toujours en suivant encore actuellement un master en histoire de l'art en emploi à l'Université de Lausanne. Avant ce cursus universitaire, j'ai eu un parcours un peu atypique pour un futur archiviste avec un apprentissage, l'obtention d'un CFC et d'une maturité commerciale dans le domaine de la vente et, en parallèle, une formation de pianiste au conservatoire de musique de Neuchâtel. En histoire, j'ai un faible pour la période du XVIIe et XVIIIe siècle.
J'ai été engagé aux Archives de l'État en septembre 2015, tout d'abord comme agent en information documentaire (AID). J'ai le « titre » d'archiviste depuis 2017. Á noter que les Archives de l'État sont un lieu que je connais depuis plus de 25 ans : j'étais en effet déjà passé par les Archives à l'âge de 15 ans et demi quand je cherchais à faire l'arbre généalogique de ma famille. Un arbre que j'ai pu établir jusqu'au XIVe siècle.
Quelles sont les missions principales des Archives de l'État de Neuchâtel ?
Nous n'avons pas vraiment une seule mission principale. On en a plusieurs : collecter, conserver, inventorier, mettre en valeur nos fonds afin qu'ils soient accessibles au public, et ce dans les meilleures conditions. Et cela tant dans un contexte historique que juridique. Nous ne traitons en effet pas que des demandes historiques, mais aussi un nombre important de demandes utiles aux citoyennes et citoyens de notre canton ; successions, placements administratifs, questions relatives à des servitudes immobilières, ainsi que des demandes de copies de documents égarés (diplômes, naturalisations, …).
Une autre de nos grandes missions est de préparer les archives de demain, de faire en sorte que dans 200 ans, on puisse avoir accès à ce qu'on a produit depuis la deuxième moitié du XXᵉ siècle environ, avec deux grands enjeux : la conservation de supports papier modernes, souvent chimiquement instables, et la transition numérique.
Á quoi servent les archives ?
Comme expliqué, une des missions principales des Archives de l'État, c'est de mettre à la disposition de ses citoyennes et ses citoyens tout ce matériel. Moi, je pense qu'on a besoin de savoir d'où on vient. C'est quelque chose qui me paraît important, en tant qu'historien. Et plus encore, d'avoir une bonne compréhension du passé pour mieux appréhender le présent et le futur proche. Je pense que c'est quelque chose qui, à l'heure actuelle, prend encore un sens plus important, à mes yeux.
Que contiennent les Archives de l'État ?
On possède aux Archives de l'État l'équivalent d'environ 12 kilomètres d'archives si on les met bout à bout ! Ces archives sont réparties dans plusieurs locaux. Principalement au château de Neuchâtel, lieu où les archives sont conservées depuis que le pouvoir occupe la colline. Un projet de nouveau pôle cantonal basé à La Chaux-de-Fonds est en projet et devrait voir le jour en 2027.
Les fonds sont très riches et sur des supports variés : des parchemins, dont le plus ancien date de 1143, diverses sortes de papiers, des photographies, des daguerréotypes (le premier procédé photographique rendu public, qui constitue l'ancêtre de la photographie actuelle), des papiers calques (notamment pour des plans), des fax (qui ont tendance à voir leur encre complètement disparaître avec le temps) ou encore des microfilms de documents de l'État civil (naissance, mariage, décès). Des microfilms qui seront bientôt mis en ligne et à disposition du public à distance sous forme numérique. Nous conservons majoritairement des documents produits par l'État (au sens large, depuis que Neuchâtel existe), mais aussi quelques fonds privés ; archives de familles, d'entreprises, qui permettent souvent d'aborder l'histoire locale sous un angle différent.
Quelles sont les plus belles pièces conservées aux Archives de l'État ?
Difficile à dire ! À mes yeux, il y a énormément de belles pièces conservées aux Archives de l'État. J'ai toujours beaucoup d'émotion à montrer notre plus vieux document daté, de 1143. Ou notre collection de motifs d'indiennes de la Fabrique Neuve de Cortaillod, renfermant des milliers de modèles de décors conçus par cette fabrique pour orner des textiles au XVIIIe siècle. Et évidemment, je suis toujours émerveillé quand je regarde l'Obituaire de Fontaine-André, datant du XIVe siècle, dans lequel se trouve la plus ancienne mention de mon premier ancêtre connu ! Mais ça, c'est évidemment un petit bonheur personnel… Mes collègues et moi-même, nous avons toutes et tous nos propres petites marottes ! Et l'importance d'un document n'est pas toujours dans son esthétique, mais souvent dans ce qu'il nous dit.
Á quels risques sont confrontés les Archives de l'État de Neuchâtel ?
Les Archives sont forcément confrontées à des risques, et c'est dans nos missions que de faire en sorte de minimiser au maximum ces risques. Un peu d'humidité peut suffire à créer une catastrophe et faire moisir une grande quantité de documents. Quant à un incendie, ce serait encore pire ! On n'y pense pas tout le temps non plus, mais on veille au grain. Personnellement, je garde la tête froide en prenant au sérieux mon rôle de « passeur », en faisant de mon mieux, tout en ayant conscience que je ne suis pas un magicien. En cela, notre projet de nouveau centre d'archives est un pas crucial pour améliorer la conservation des archives. Nos locaux du début du XXe siècle, notre « palais de cristal » est pittoresque, mais il se fait vieux.
En quoi consiste votre travail au Archives de l'État ? Une journée type ?
C'est un métier multifacette, entre l'ancien et les vieux parchemins et le moderne et la numérisation de documents. J'aime bien dire que c'est un travail à la fois porté sur le passé sur l'avenir. Sur le passé, puisqu'on a la charge de conserver tout ce que l'administration a produit depuis que… Neuchâtel existe. Sur l'avenir, dans la mesure où on a le challenge de préparer les archives du futur de ce que produit l'administration à l'heure actuelle.
Une part de mon métier est beaucoup du travail de terrain et c'est quelque chose que j'apprécie énormément. Une de mes missions me pousse à aller aux quatre coins de l'administration à travers tout notre beau canton pour préparer des futurs versements d'archives. On a pour tâche de sensibiliser les différentes entités de l'État à l'archivage et les conseiller, notamment sur les bonnes pratiques et la conservation. Cela me fait rencontrer un peu toutes les facettes de l'administration cantonale et du paraétatique. On évalue une production documentaire avec un ratio de 10% de documents conservés pour 90% détruits (parfois variable évidemment). J'aime dire qu'un archiviste n'est pas un conservateur-fou qui souffre de collectionnite. Conserver tout ce que l'on produit depuis que la technologie nous permet de produire facilement toute sorte de documents, ce serait de la folie.
On est aussi au service du grand public. Á ce propos, je trouve dommage que trop de gens ne savent pas que c'est ouvert au public. Le public ne peut évidemment pas venir dans nos dépôts, sauf lorsque nous organisons des portes ouvertes. Mais ils peuvent venir dans notre salle de lecture, ils peuvent consulter un grand nombre de sources et ainsi retracer l'histoire de leur maison, de leur village, de leur famille ou de tout autre sujet historique
On conseille aussi les historiens, les généalogistes, les lecteurs et lectrices qui viennent chez nous pour des recherches très diverses et souvent pointues. On a des généalogistes amateurs, mais aussi des « chasseurs d'héritiers » pour des successions en France, par exemple. On reçoit des étudiants universitaires. On organise aussi des séminaires avec des professeurs d'histoire de l'Université de Neuchâtel; l'occasion de confronter les idées aux sources. Enfin, une fois par année, nous recevons le Passeport vacances dans nos murs ; une belle occasion de sensibiliser les jeunes générations à la question des archives.
Avez-vous eu une crainte particulière quand vous avez commencé votre travail aux Archives ?
Un de mes premiers cauchemars quand je suis devenu archiviste, c'était de lâcher un fichier généalogique par terre. Ce type de fichier, ce sont des petites boîtes qui contiennent plusieurs centaines de fiches. Et j'avais toujours une hantise qu'un jour, un de ses tiroirs se retourne et que je doive passer des heures à remettre toutes ces petites fiches dans l'ordre. Pour l'anecdote, c'est finalement arrivé une fois et maintenant, je me sens beaucoup mieux.
Á relever, et c'est là où la Grande Histoire, peut parfois nous toucher directement : l'élaboration du fichier que nous possédons, qui réunit des milliers de fiches avec des noms de familles d'habitantes et d'habitants du canton, a commencé dans le courant des années 1930, lorsque le régime nazi a exigé de ses citoyennes et citoyens de fournir la preuve qu'ils n'avaient pas d'ancêtres juifs. Les nombreux Neuchâtelois, établis en Prusse notamment, ont dû formuler une demande de recherche aux Archives de l'État. Celles-ci ont ainsi dû mettre en place ce fichier pour pouvoir répondre à ces nombreuses et sensibles demandes.
Des découvertes ? Des surprises au fil de vos déambulations dans les méandres des archives cantonales ?
Je me suis rendu compte au fil de ma profession qu'un État c'est une énorme machine et je trouve assez passionnant de gérer des archives qui vont de la médecine aux homes, en passant par les Ponts et chaussées et la viticulture. L'État renferme une grande variété de métiers, et je trouve cela très passionnant et extraordinaire.
J'ai régulièrement des bonnes surprises, des documents qu'on retrouve qui n'ont pas été consultés pendant des décennies. Tout à coup, on remet la main dessus, on l'ouvre et on trouve un joli dessin ou un document qui raconte quelque chose qu'on ne connaissait pas. Quelque part, même en restant aux archives jusqu'à la fin de mes jours, je n'arriverais pas à tout découvrir !
Á propos, vous vous êtes déjà perdu dans les archives ?
Oh oui ! Je me suis perdu un bon nombre de fois au début, surtout ici au château, on a quatre étages comme celui-ci et la numérotation des travées a été faite d'une manière assez particulière qu'il m'a fallu comprendre. Deux ou trois fois, je suis remonté bredouille parce que je ne savais plus où aller. Mais, j'ai toujours retrouvé la sortie !
Le futur et les archives de demain ?
La question des archives de demain nous occupe énormément dans notre office à l'heure actuelle. C'est un enjeu majeur de trouver le bon système pour fixer dans le temps la production documentaire actuelle, de plus en plus numérique. On a un archiviste informaticien qui travaille sur ce sujet et qui propose toute une série d'outils qui permettent de préparer et de pérenniser l'archive numérique.
L'idée, c'est de trouver un support qui soit stable, et de mettre en place des procédures de veille et de migration pour répondre au risque d'obsolescence. Pour moi, qui ne suis pas informaticien mais historien, ça paraît encore un peu fou, mais on va y arriver ! Je suis confiant ! C'est un gros changement de paradigme : les documents anciens ont généralement un intérêt tant au niveau de leur support que de leur contenu. Désormais, c'est avant tout le contenu qu'il s'agira de conserver. Et de faire notre possible pour qu'il soit toujours lisible dans les siècles à venir…