Jacques Bujard

Conservateur cantonal, chef de l'office du patrimoine et de l'archéologie du canton de Neuchâtel (OPAN)

Monsieur Jacques Bujard, depuis quand exercez-vous cette fonction et quel a été votre parcours professionnel avant celle-ci ?
Jacques Bujard : J'ai pris mes fonctions le 1er mai 1995. Titulaire d'une licence en histoire à l'Université de Genève et d'un doctorat en archéologie obtenu à l'Université de Fribourg, j'ai travaillé comme archéologue médiéviste (n.d.l.r : le médiévisme, ou les études médiévales, est l'étude scientifique de la civilisation et de l'histoire du Moyen Âge) au service cantonal genevois d'archéologie (de 1978 à 1995), après avoir collaboré bénévolement à plusieurs chantiers de fouilles de ce service depuis 1972, et au service archéologique du canton de Fribourg (de 1984 à 1995). Dans les deux cantons, je me suis consacré prioritairement à des analyses d'archéologie du bâti dans le cadre de chantiers de restauration. J'ai par ailleurs été directeur de la mission archéologique suisse en Jordanie de la Fondation Max van Berchem (de 1988 à 2000).

Quelles sont les tâches concrètes rattachées à votre rôle ?
Les tâches attribuées par la législation à la section « Conservation » de l'office du patrimoine et de l'archéologie (OPAN), celle que je dirige, sont nombreuses, notamment :

  • Préavis de dossiers d'urbanisme et d'aménagement du territoire ;
  • Gestion des subventions cantonales et fédérales ;
  • Entretien et mise à jour du Recensement architectural cantonal et de bases de données historiques ;
  • Suivi des chantiers de bâtiments patrimoniaux ;
  • Recherches historiques et d'archéologie du bâti ;
  • Établissement de documentations techniques, d'études et de publications scientifiques ;
  • Valorisation du patrimoine bâti, mobilier et immatériel neuchâtelois par l'organisation de manifestations et l'attribution de soutiens techniques et/ou financiers ;
  • Soutien à la sauvegarde de l'urbanisme horloger UNESCO.

Par ailleurs, comme chef de l'office, j'assure des tâches de coordination entre les trois sections, « Conservation », « Archéologie » et « Laténium ». À titre plus personnel, des charges de cours en archéologie du bâti dans les universités romandes _ Fribourg (2002-2012), Lausanne (depuis 2011) et Neuchâtel (2015-2019) _ m'ont permis de garder un lien avec les générations suivantes, de même qu'au fil des années divers comités et commissions m'ont donné l'opportunité d'échanger régulièrement avec mes collègues d'autres cantons ou de l'étranger (Commission fédérale des monuments historiques, Société d'histoire de l'art en Suisse, Conférence des conservatrices et conservateurs des monuments historiques de la Suisse, etc.)

Quelle est l'anecdote qu'il vous plaît le plus de raconter concernant votre carrière ?
Il m'est arrivé de me retrouver dans des situations compliquées, voire cocasses, mais qui se sont en règle générale plutôt bien terminées. En mettant récemment de l'ordre dans mes tiroirs, je suis ainsi tombé sur un article du « Journal de Genève » annonçant au printemps 1995 ma prochaine entrée en fonction et ne me donnant guère plus que quelques semaines de survie. Approchant de la retraite après 27 ans à la tête de l'office, je n'ai pu m'empêcher de sourire…

Quel monument/objet patrimonial du Canton vous représenterait le mieux et pourquoi ?
C'est une question à laquelle je ne peux répondre en donnant un seul exemple, qui serait vraiment trop limitatif. Ce qui a jusqu'ici maintenu constamment en éveil mon intérêt pour la fonction, c'est la diversité des tâches à remplir. Vous passez quotidiennement de Le Corbusier à l'architecture des Trente Glorieuses, de fouilles archéologiques à la restauration d'un orgue du 19e siècle, de problème d'intégration d'un chauffage dans une église à un chantier de restauration d'œuvres d'art, sans oublier la recherche de financements, de spécialistes ou de solutions techniques.

J'avoue néanmoins un petit faible ces jours pour la Collégiale de Neuchâtel, dont la récente inauguration a mis un terme à un long et passionnant chantier. Mais d'autres chantiers sont en cours, tels ceux des anciens abattoirs de La Chaux-de-Fonds et du temple de Môtiers, ou vont s'ouvrir à l'instar des restaurations du temple de Saint-Blaise et du Musée international de l'horlogerie (MIH) de La Chaux-de-Fonds. L'avenir s'annonce donc intéressant pour la personne qui me remplacera dans le courant de l'an prochain et mes collègues, tous passionnés par la sauvegarde et la valorisation du patrimoine neuchâtelois !

Quel pouvoir surnaturel révolutionnerait votre fonction ?
Posséder la baguette magique qui permettrait au canton de disposer des ressources nécessaires à la bonne sauvegarde et à une meilleure mise en valeur de son patrimoine. Il conserve en effet un patrimoine d'une richesse et d'une diversité que l'on retrouve rarement en Suisse, des célèbres sites archéologiques palafittes en passant par la vaste villa romaine de Colombier et les châteaux médiévaux, les villages viticoles du Littoral, le patrimoine rural des Montagnes et des vallées, les sites industriels, dont plusieurs sont reconnus d'intérêt national, tels les moulins du Col-des-Roches et les mines de La Presta, sans oublier bien sûr les villes horlogères inscrites sur la Liste du patrimoine mondial de l'UNESCO. Le canton renferme aussi des collections muséales exceptionnelles et perpétue des traditions immatérielles de grande valeur.

Quels sont pour vous les enjeux principaux qui attendent le canton en matière de préservation du patrimoine ?
Maintenir un niveau de qualité élevé dans ses chantiers de conservation-restauration grâce à une collaboration étroite avec les maîtres de l'ouvrage, les architectes et tous les intervenants des chantiers; celui-ci a permis ces dernières années aux chantiers neuchâtelois de bénéficier régulièrement d'appuis financiers exceptionnels de la Confédération et de fondations, le plus souvent alémaniques, mais cela demande beaucoup de disponibilité des collaborateurs de la section « Conservation », en nombre désormais très réduit.

Maintenir et développer l'intérêt du public pour le patrimoine neuchâtelois grâce aux Journées européennes du patrimoine (JEP), aux Journées de l'archéologie, à la Nuit des musées et à d'autres manifestations organisées par les communes et des associations.

Développer les connaissances des intervenants de toutes disciplines pour que notre patrimoine bâti puisse être bien pris en compte dans l'application des mesures techniques et architecturales nécessaires pour affronter le changement climatique. Le récent Forum Énergie + Patrimoine à Lausanne (25-26 mars 2022) a bien montré que notre patrimoine bâti, construit en large partie sans pétrole ni électricité et qui remplit encore des fonctions utiles à la société, peut nous apporter des pistes de solutions éprouvées pour nous aider à affronter l'avenir énergétique. Des chantiers récents dans d'autres cantons ont fait la preuve que cela peut fonctionner. Il est vrai que ces démarches demandent de ne pas appliquer des normes de manière automatique et sans tenir compte du contexte bâti, ni des dépenses d'énergie grise que tout remplacement de matériel ou toute démolition entraîne. En bref entretenir et recycler plutôt que jeter, dans le domaine du bâti aussi !