Les prévisions conjoncturelles, dans une économie intensément globalisée et très réactive, sont un exercice difficile car cela nécessite de distinguer ce qui relève des cycles classiques d’expansion / récession, d’événements isolés qui resteront sans lendemain ou de chocs qui auront des conséquences structurelles significatives à moyen et long terme. La versatilité du président américain complexifie encore la donne. Ici, nous tentons d’évaluer ce qui se profile pour la Suisse et l’Arc jurassien indépendamment des négociations avec l’administration américaine.
L’emploi se dégrade significativement aux États-Unis, et les analystes surveillent de près les signes d’inflation, surtout importée. La FED reste donc prise entre une politique restrictive de contrôle de l’inflation et un encouragement de la croissance. Le dollar poursuit sa baisse, régulière depuis plus d’une année face au franc suisse.
La Banque Mondiale a revu à la hausse ses prévisions de croissance pour la Chine. Toutefois, il n’y a guère matière à se réjouir, cette croissance étant due aux exportations chinoises, alors que la consommation interne, susceptible de tirer l’économie mondiale, reste toujours atone et que les mesures de relance arrivent à leur terme. Les difficultés du secteur immobilier perdurent et pèsent durablement sur les perspectives.
Au niveau suisse, derrière une actualité économique agitée, les grands indicateurs macroéconomiques (PIB, baromètre conjoncturel du KOF, exportations…) restent stables et atones. Les perspectives dans l’industrie sont plutôt positives du point de vue des entrées de commandes, mais les entreprises restent très prudentes et n’envisagent pas d’embaucher, bien au contraire. Une première estimation de l’évolution du PIB donnée le 17 novembre par le SECO indique une contraction de 0,5 % du PIB au troisième trimestre, due pour l’essentiel à une baisse de la production dans le domaine de la chimie et pharmaceutique. À confirmer.
Les données concernant les stocks montrent une stabilité, mais de nombreuses déclarations dans les médias font état d’envoi de marchandises avant l’entrée en vigueur des droits de douane américains. Difficile donc d’estimer la dimension conjoncturelle de ces chiffres.
Sur le marché national, le climat de consommation se dégrade légèrement et il en va de même pour l’évolution des fournisseurs des entreprises. Le SECO prévoit un fléchissement de l’activité également dans la construction, une branche qui a assuré une stabilité importante de l’économie suisse au cours des quinze dernières années. Quant aux dépenses publiques, elles vont baisser en raison de la mise en œuvre des programmes d’économie de la Confédération et de plusieurs cantons.
Les chiffres indiquent donc d’une part une stabilité des principaux agrégats, mais d’autre part des anticipations négatives, probablement liées aux incertitudes actuelles. Jusque-là, cette situation n’exclut donc pas totalement un maintien de l’activité, voire une légère reprise si les conditions internationales s’améliorent.
La grande préoccupation réside dans l’évolution du franc, qui passe de 0,89 franc pour un dollar au début de l’année à 0,80 aujourd’hui. Or, nous savons que le franc suisse est une valeur refuge et qu’il monte en période d’incertitude. Le problème est qu’une fois les incertitudes surmontées, le franc ne redescend jamais à son niveau précédent. Il faudra donc vivre dans le futur avec cet effet cliquet et veiller aux capacités d’innovation de l’économie suisse.
Au cours des vingt dernières années, l’économie suisse s’est tirée de situations extrêmement délicates, certes, parce qu’elle est plutôt bien organisée et qu’elle veille à ses atouts, mais aussi parce qu’elle a eu… de la chance. La crise UBS de 2008-2009 aurait pu emporter l’ensemble de la place financière suisse. Il en va de même avec la crise de Crédit suisse, mais aussi de l’évolution de branches comme l’horlogerie, qui a vu de nouveaux marchés s’ouvrir au fur et à mesure d’une certaine fatigue de la clientèle sur ses marchés les plus mûrs. Si ces enchaînements ont jusqu’à présent plutôt réussi au pays, une série de revers sérieux est toujours possible, qu’elle prenne la forme d’un président des États-Unis ou d’un décrochage boursier. Alors, qu’en est-il des capacités d’innovation de l’économie suisse ? L’innovation ne consiste pas à atteindre des niveaux élevés d’investissement en R&D ou de dépôts de brevets, mais doit relever de nouveaux produits, services ou activités qui trouvent leurs marchés. La glissade de l’action Nestlé interroge sur la capacité d’innovation de l’entreprise, Nespresso, par exemple, ayant plus de trente ans d’existence. D’autres activités, comme l’horlogerie, reposent sur des propositions de valeur et des modèles d’affaire éprouvés, innovant plutôt à la marge. Bref : il est temps de rappeler que l’industrie du futur reste à inventer !