Survivre à l’oubli quand l’archéologie redonne voix aux victimes de l’esclavage

01.10.2025

​​Le Laténium, parc et musée d’archéologie, consacre sa prochaine grande exposition à une tragédie révélatrice de la cruauté de l’esclavage colonial : en septembre 1761, à la suite du naufrage de L’Utile, 80 personnes déportées depuis Madagascar et achetées en fraude sont abandonnées sur un minuscule îlot perdu dans l’océan Indien : « L’île de Sable ». Quinze ans plus tard, une expédition retrouve une poignée de personnes - sept femmes et un nourrisson – qui ont survécu à cet isolement extrême.

Dès le 18e siècle, l’événement émeut les consciences abolitionnistes et inspire philosophes et écrivains. Mais la voix des victimes demeure absente : que s’est-il réellement passé sur cette île battue par les vents et aux infimes ressources, comment ces femmes et ces hommes ont-ils résisté à l’isolement ?

L’archéologie permet aujourd’hui d’apporter des réponses. Entre 2006 et 2013, plusieurs campagnes de fouilles ont été conduites sur Tromelin par le Groupe de Recherche en Archéologie Navale (GRAN) et l’Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP), sous la direction de Max Guérout et Thomas Romon. Ces recherches ont mis au jour les vestiges d’habitats bâtis sur le modèle des tombeaux Merina de Madagascar, ainsi que des témoignages exceptionnels d’ingéniosité et d’adaptation humaine. Elles révèlent l’extraordinaire résilience de ce groupe déraciné : exploitation des infimes ressources de l’îlot, organisation sociale et savoir-faire techniques.

La création artistique pour enrichir le parcours d’exposition
La scénographie conçue par Adrien Moretti (atelier Midi XIII à Vevey) plonge d’abord dans la cale sombre d’un navire, puis conduit pas à pas vers l’aridité de l’île, avant de s’ouvrir aux horizons maritimes et aux voiles, symboles d’espoir et de mémoire partagée. Une expérience immersive, à la fois bouleversante et porteuse de réflexion. La création artistique contemporaine occupe une place centrale dans l’exposition. L’écrivaine et comédienne Fanny Wobmann signe une écriture sensible pour l’audioguide, à la frontière de la fiction et du documentaire. Elle prête sa voix à une narratrice imaginaire – une écrivaine embarquée sur le navire L’Utile en 1761 – qui raconte la traversée, le naufrage et l’abandon des personnes esclavisées à Tromelin. Le peintre Léopold Rabus, reconnu pour ses oeuvres puissantes mêlant réalisme cru et visions oniriques, propose une création originale spécialement pensée pour l’exposition. Le duo Sophie et Maxime Le Meillour (Telomeres Studio) a réalisé un mapping vidéo qui anime de manière immersive les thèmes de l’exposition. Enfin, le musicien Julian Sartorius a développé des créations sonores qui interprètent à leur façon les trois chapitres de l’exposition. Les sons se superposent les uns aux autres, créant une oeuvre sonore unique.

Les enjeux pour le Laténium
En se saisissant de ce sujet universel et toujours d’actualité, le Laténium affirme la place de l’archéologie dans le débat public. Discipline du détail concret et des traces matérielles, elle permet de révéler ce que les textes ont passé sous silence : la vie quotidienne, les gestes de survie, l’organisation sociale de celles et ceux que l’Histoire a réduits au silence. Cette exposition ne se contente pas de montrer des vestiges : elle illustre comment l’archéologie redonne une voix aux victimes de l’esclavage, éclaire notre rapport à la mémoire dignité humaine face à l’oppression.

Une coopération internationale et interdisciplinaire
Cette exposition est réalisée avec le soutien du Musée d’histoire de Nantes – Château des ducs de Bretagne, en partenariat avec :
- le Groupe de Recherche en Archéologie Navale (GRAN)
- l’Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP)
- les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF)

Fondée sur l’expertise scientifique de Max Guérout (GRAN) et Thomas Romon (INRAP), avec la collaboration muséographique de Pierre Chotard (Musée d’histoire de Nantes), l’exposition a été réalisée sous le commissariat de Marc-Antoine Kaeser, directeur du Laténium.

Programmation et médiation : prolonger l’expérience
L’exposition s’accompagne d’une programmation riche et diversifiée, conçue pour prolonger la réflexion et les émotions qu’elle suscite. Des projections, des conférences et des performances feront écho aux thèmes de l’exposition. Des visites guidées et des ateliers adaptés à tous les publics sont proposés sur réservation. Ce programme permet de découvrir l’histoire de l’île de Tromelin de manière interactive et accessible, et de réfléchir collectivement aux enjeux de résistance, de mémoire et d’histoire coloniale.

Trois premiers rendez-vous à ne pas manquer
- Vendredi 3 octobre : vernissage de l’exposition et concert de Nawal, chanteuse et multi-instrumentiste originaire des Comores.
- Samedi 25 octobre : visite guidée Neuchâtel, empreintes coloniales, en collaboration avec l’Atelier des musées de la Ville de Neuchâtel.
- Mercredi 29 octobre : conférence de Max Guérout sur les « esclaves oubliés » de Tromelin.

(Photo de l'exposition © Guillaume Perret)






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