Commentaire trimestriel

 

Nous n’y échapperons pas

Mai 2024 - Olivier Crevoisier - Professeur d’économie territoriale - Université de Neuchâtel

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International et national

Nous n’échapperons pas à la récession, voire à une crise plus profonde. La BNS avait fait en sorte de faire monter le franc, réduisant ainsi l’inflation importée – qui constituait l’essentiel de la hausse des prix. L’inconvénient majeur de cette opération était de faire porter tout le poids de l’ajustement sur l’industrie. Bonne nouvelle, la BNS a été la première à baisser ses taux, ce qui a quelque peu détendu les choses sur le marché des changes. L’euro et le dollar sont repartis vers le haut ces dernières semaines. Ce n’est toutefois pas suffisant. Les autres pays reportent encore les baisses attendues et les experts sont de plus en plus divisés sur la pertinence de cette action.

Du côté de la bourse, le SMI se maintient à bon niveau, on reste dans l’expectative, tant concernant les taux que du côté des bénéfices.

D’autre problèmes concernent la demande internationale pour l’industrie d’exportation suisse. En effet, la demande mondiale est grippée. Les grands pays de l’Union Européenne, Allemagne en tête, ont amorcé une spirale de baisse de leurs exportations et de l’optimisme des consommateurs. De plus, ils décident une contraction des dépenses publiques, qui vient à un moment particulièrement défavorable. Ces choix sont en bonne partie la conséquence de la manière dont ont été financées les dépenses COVID, à savoir par le déficit public. Ces dépenses dans le passé entraînent une nécessité de limiter les dépenses aujourd’hui, sans que, en l’occurrence, il n’y ait de lien logique entre ces deux phénomènes. Cet exemple montre que les institutions monétaires, budgétaires et du commerce international héritées des réformes des années nonante sont probablement à bout de souffle et qu’un questionnement plus large devient nécessaire.

Au niveau national, sur les marchés intérieurs, on note que le marché du travail s’est détendu avec un emploi qui reste à un très haut niveau. Pas de tension inflationniste du côté des salaires et pas d’inquiétude non plus du côté du chômage qui reste bas. Le secteur des services, principalement orienté vers la demande interne, se porte bien. L’économie suisse continue de distribuer de bons revenus et les consommateurs dépensent.

Toutefois, l’entrée en récession ne saurait tarder. L’Office fédéral de la douane (19 mars 2024 ) note que si les importations se maintiennent, marquant un bon climat de consommation et la bonne tenue du marché du travail en Suisse, on note de sérieuses baisses dans les exportations horlogères, ainsi qu’une érosion dans les machines et les instruments de précision. Les exportations vers la Chine en particulier sont en berne, ce pays restant depuis la pandémie bien en deçà des performances auxquelles il nous avait habitués. La désorganisation des chaînes de valeurs semble persister, affectant en particulier les exportations allemandes. Le couple Allemagne-Chine était l’un des principaux moteurs de l’économie mondiale, et l’Allemagne reste sonnée par l’augmentation à long terme des coûts de son énergie et l’épuisement progressif des ressources de sous-traitance en Europe de l’Est. Cet affaiblissement aura des effets sur l’industrie suisse, comme le note le SECO dans son bulletin trimestriel.

L’industrie horlogère est particulièrement touchée, avec une baisse de 16 % de la valeur par rapport à mars 2023 (Fédération de l’industrie horlogère 2024), soit pas moins de 2 milliards de francs. La Chine (-41,5 %) et Hong-Kong (-44,2 %) ont pesé très lourd. La baisse touche tous les marchés et toutes les gammes. L’accord de libre-échange signé avec l’Inde en mars est très important pour l’industrie des machines, mais ses effets mettront quelques temps à se déployer.

En ce qui concerne les indicateurs anticipés, basés sur les déclarations des consommateurs ou des directeurs des achats, ils se sont bien relevés ces derniers mois. Toutefois, rappelons qu’ils ont été presque toujours plus pessimistes que l’évolution effective des affaires au cours de l’année passée. Leur retour d’optimisme peut surprendre aujourd’hui, alors que les grands agrégats, en particulier internationaux, nous annoncent clairement une entrée en récession.

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Neuchâtel

Le canton de Neuchâtel est structurellement plus exposé que les autres aux retournements conjoncturels internationaux. Actuellement, si les exportations horlogères ont chuté, les entrées de commande, en particulier dans l’industrie des machines, semblent résister et l’emploi se maintient à haut niveau. Le ralentissement international n’est pas encore perceptible dans les statistiques, mais on voit difficilement comment l’industrie neuchâteloise pourrait y échapper. Paradoxalement, les indicateurs concernant les anticipations restent à un haut niveau. L’optimisme des entreprises surprend, on espère qu’il est fondé, sans trop y croire.

Concernant le secteur des services à la population, on constate que le retournement est peut-être déjà là, notamment par le ralentissement de la croissance des travailleurs frontaliers dans ce secteur. Le canton de Neuchâtel présente une économie locale, urbaine, relativement faible, insuffisamment diversifiée et attractive. Cela est largement dû à l’éparpillement des services urbains sur plusieurs grands centres. Si la région était dotée d’un grand centre unique, la population pourrait dépenser davantage sur place en services privés (assurances, commerce de détail, loisirs, etc.) et publics (hôpitaux universitaires notamment). Plus une ville est grande, mieux elle retient les revenus, les dépenses entrainant de nouveaux emplois dans une spirale de développement urbain.

Si le secteur touristique suisse reste dynamique, malgré le franc, c’est grâce à son positionnement dans le haut de gamme. Malgré une lente progression des visiteurs étrangers, le tourisme neuchâtelois dépend avant tout de la demande helvétique. La bonne tenue du climat de consommation dans le pays et le bas niveau de chômage laissent donc présager une saison qui pourrait être bonne. Il faudra toutefois voir si les habitudes prises pendant la crise COVID de faire ses vacances à proximité persistent et si les Suisses veillent réellement à ne pas alourdir leur bilan carbone.

Dans le domaine immobilier, la situation est morose, la montée des taux ayant stoppé net le mouvement d’achat de neuf. La première baisse annoncée par la BNS est un bon signe, mais on est très loin des conditions qui prévalaient avant juin 2022.

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